Benoît Falaize est agrégé et docteur en histoire à l’Université de Cergy-Pontoise. Il a publié L'histoire à l'école élémentaire depuis 1945 (PUR, 2016) et Enseigner l'histoire à l'école (Retz, 2015). Il a également co-dirigé plusieurs ouvrages dont L'école et la nation (ENS-Lyon, 2015) et Enseigner l'histoire de l'immigration à l'école (INRP, 2008). Il vient de participer à une recherche internationale et un ouvrage collectif sur Le récit du commun (PUL, 2016). Dans cette tribune, il revient sur le premier volume du projet éditorial Histoire dessinée de la France, qui vient de paraître aux éditions La Découverte/La Revue dessinée.
La balade nationale de Sylvain Venayre et Étienne Davodeau inaugure une histoire dessinée de la France en vingt volumes, éditée par les éditions La Découverte et la Revue dessinée. Censée présenter un « nouveau visage de notre histoire », loin des « fantasmes passéistes et des récupérations politiques », cette balade nationale nous emmène dans une réflexion sur l’histoire et les origines de la France. Mais au lieu d’un premier volume qui aurait pu être consacré « aux origines de la France » avec la recherche d’un authentique départ de l’histoire nationale (Gaulois, Celtes, Hommes préhistoriques déjà pénétrés d’une hypothétique conscience nationale… ?), les auteurs ont choisi de faire circuler une camionnette sur les routes de France, avec cinq personnages à bord : l’historien Jules Michelet, Jeanne d’Arc, Marie Curie, le général Dumas d’Haïti (officier de la Révolution française) et Molière. Cinq ? Non, en fait, un sixième personnage les accompagne, dans son cercueil, dont il ne sortira jamais : il s’agit du maréchal Pétain, qui, d’outre-tombe (c’est le cas de le dire) participe abondamment aux discussions qui s’engagent entre chaque personnage.
La balade nationale rompt donc avec une histoire linéaire, en allant d’un lieu d’histoire à un autre, sans souci de la chronologie, de la grotte de Lascaux aux guerres révolutionnaires, en passant par la question des exilés syriens. Mais elle déconstruit également les mythes du passé. Osons le mot : il s’agit d’une bande dessinée à la fois épistémologique et historiographique. Elle interroge non seulement les manières d’écrire l’histoire à travers le temps, mais donne à voir également les méthodes de l’historien. Cette balade nous invite à considérer les figures du passé, les dates, les lieux et les mentalités comme autant de construction du passé, en lien avec leurs enjeux de mémoire. Le cadavre de Pétain transporté d’un bout à l’autre du périple (son fantôme pourrait-on dire) vient rappeler, à chaque page ou presque, l’obsédante préoccupation du présent pour le passé qui ne passerait pas…
L’humour rend cette leçon épistémologique agréable et rythmée. Les personnages, où la parité est respectée, et la « diversité » suggérée également, avec le général Dumas, disent les soucis qui sont les nôtres aujourd’hui pour dire l’histoire nationale, ou « l’histoire de France » ou « de la France », ou « des Français ». Il ressort de cette balade une réflexion sur le sens même et la quête sans fin et contextualisée de « l’identité nationale », nécessairement non monolithique, faite de ses diversités, et de ses contradictions et conflits d’héritages politiques aussi. Une dimension aurait sans doute mérité d’être plus développée : c’est celle qui enregistre que la France ne se limite pas à la France hexagonale. Et autant le dire, à tout prendre, puisqu’il s’agit de se promener dans une camionnette, un passage par les terres coloniales (Maghreb, Asie, Afrique noire, etc…) ou les territoires ultramarins d’aujourd’hui, en avion ou par bateau (toujours avec le cercueil s’entend !), aurait pu trouver une place dans cette balade finalement incomplète, afin de mieux mesurer ce que l’histoire de la France a eu à voir (encore aujourd’hui) avec le monde.
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