Gilles Boëtsch, directeur de recherche au CNRS, est anthropobiologiste. Il a travaillé sur les représentations sociales du corps biologiques. Actuellement, il travaille sur les relations entre environnement, santé et sociétés en Afriques de l’Ouest. Cette semaine il nous présente un travail photographique qui invite à la réflexion sur « la couleur de peau » et la catégorisation qui s’en suit; où comment l’identité de chacun peut être « résumé » à la couleur de sa peau.
Dans le numéro du journal Libération en date du 30 août 2015, la photographe brésilienne Angélica Dass nous présente les photographies d’une exposition en préparation « Humanae ». Aucune légende n’accompagne ces photographies, si ce n’est leur code Pantone (nuancier de couleur crée en 1866 par l’américain Lawrence Herbert destiné aux professionnels de la cosmétique). Elle a photographié à ce jour 2.500 personnes. Pour chaque photographie, elle compare leur teint de peau au nuancier Pantone, en prenant un pixel 11 par 11 de leur visage. Cette image est ensuite placée sur un fond de cette couleur, et le code du nuancier Pantone est placé sous la photo. On peut être Pantone 70-6 ou 322-1 ce qui nous caractérise uniquement du point de vue de l’apparence cutanée.
Cette démarche initialement artistique a l’avantage de montrer une très grande diversité humaine en termes de pigmentation cutanée mais renvoie néanmoins à des processus classificatoires sur les populations humaines qui firent fureur dans la mise en place de l’anthropologie physique au cours du XIXe siècle. Paul Broca (1824-1880), fondateur de l’anthropologie physique en France fut le premier à avoir introduit la couleur comme critère anthropologique classificatoire. Il proposa 20 couleurs pour l’iris de l’œil et 32 couleurs pour la peau (planches « Color-type of M. Broca », in Anthropological notes and queries for the use of travellers and residents in uncivilized lands, London, Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, 1874).
Certes on est loin des 999 couleurs actuelles de Pantone, mais l’idée de Paul Broca n’était pas de saisir l’ensemble des subtilités de nuances mais au contraire de classer les peaux par grandes catégories de couleurs ; ceci servant à construire un savoir scientifique sur les « races » humaines. De fait, les gens possèdent une couleur d’yeux et de peau ainsi qu’un patrimoine génétique. Les nuances colorées de la peau dépendent du nombre de mélanosomes. Le risque avec cette biologisation de l’être humain ne serait-elle pas de le « typifier » au lieu de le personnaliser en lui donnant des références culturelles et socio-économiques qui construisent son identité ? Le débat est ouvert et l’art s’en empare. Le débat est et l’art s’en empare. En France, un autre artiste, Pierre David (plasticien et photographe) a crée en 2009 « Nuancier » une exposition qui présente les portraits torse nu de 40 Brésiliens. En plus des photographies, il a créé un nuancier avec les 40 teintes de couleur de peau, ainsi que des pots de peintures (peintures créées spécialement avec l’aide d’un chimiste pour correspondre aux 40 teintes de couleur de peau). Cette exposition fut présentée dans plusieurs villes en France, la dernière en date est celle qui a prit place au Musée des Beaux arts de Chambéry du 15 décembre 2014 au 9 février 2015. Même si l’artiste affirmait que « la couleur de peau est une marque sociale importante en France », on ne peut réduire l’individu à son simple épiderme. De plus, au Brésil la réussite sociale l’emporte sur la couleur de peau. La question n’est donc pas de définir précisément (selon des procédés techniques occidentaux) la couleur de peau, mais de s’intéresser aux individus, aux sociétés et aux cultures. Ces démarches artistiques ne prennent pas cela en compte et le message transmis peut-en être altéré.
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