Les tribunes

Titre Les tribunes
La fabrique des sociabilités en Europe et dans les colonies sous la direction de Valérie Capdeville & Kimberley Page-Jones

La fabrique des sociabilités en Europe et dans les colonies

sous la direction de Valérie Capdeville & Kimberley Page-Jones

La fabrique des sociabilités en Europe et dans les colonies sous la direction de Valérie Capdeville & Kimberley Page-Jones

Dirigé par Valérie Capdeville, professeur en histoire et civilisation des mondes britanniques à l’Université Rennes 2, et Kimberley Page-Jones, maître de conférences en études britanniques à l’Université de Bretagne Occidentale, cet ouvrage collectif analyse la « fabrique des sociabilités » aux XVIIIe et XIXe siècles en s’appuyant particulièrement sur la notion d’espace, à des échelles aussi bien locales que mondiales. Construit en quatre parties, ce livre permet d’aborder à la fois la construction des sociabilités au cœur des empires, depuis la cour de France jusqu’aux usines anglaises, mais aussi dans les colonies. Les auteurs analysent ainsi autant les loges maçonniques en Inde britannique que l’Arcadie de Rome aux Antilles en passant par les tavernes et cafés du Québec. Dans le cadre de cette tribune, nous vous invitons à en découvrir la préface rédigée par Pierre-Yves Beaurepaire, Professeur d’histoire moderne à l’Université Côte d’Azur et membre senior de l’Institut Universitaire de France.

Tout n’a-t-il pas été dit, écrit à propos de la sociabilité des temps modernes et du début de l’époque contemporaine ? La masse de travaux et de publications produite par ce champ de recherches interdisciplinaire depuis un demi-siècle pourrait le laisser croire. On aurait bien tort et ceux qui se sont désintéressés de la sociabilité, à l’instar de Jonathan Israel – il ne s’en cache d’ailleurs pas –, se sont privés de l’une des clés essentielles de compréhension du monde aux XVIIIe et XIXe siècles. Lire les contributions du présent ouvrage permettra au contraire de juger sur pièces du chemin parcouru depuis les intuitions et les travaux pionniers de Georg Simmel, ce d’autant plus qu’il s’agit véritablement d’un chantier collectif dont les maîtres d’œuvre ont su à la fois donner à chacun des contributeurs la liberté de chercher et de s’exprimer à partir de leurs terrains, de la wilderness nord-américaine à l’Inde du Raj britannique, des cafés québécois aux communautés protestantes atlantiques, du salon et des réseaux curiaux aux pratiques langagières, et donner une forte cohérence à l’ensemble non seulement par le remarquable travail d’édition des textes et de dialogue avec leurs auteurs, mais en leur proposant des pistes pour mettre au cœur de leur approche les enjeux spatiaux qui sont la marque de fabrique de ce livre. 

Ce collectif s’inscrit dans la lignée des riches travaux produits notamment au sein du projet « La sociabilité en France et en Grande-Bretagne au Siècle des Lumières ». Les publications issues de ce projet initial porté par la Maison des Sciences Humaines de Bretagne se démarquaient déjà du flot des publications existantes par leur volonté assumée de faire véritablement dialoguer civilisationnistes, historiens, littéraires et représentants d’autres disciplines encore, alors que trop souvent ils s’écoutent poliment, mais collaborent peu. Elles se distinguaient aussi par la volonté de sortir du cadre national et de confronter modèles et pratiques de part et d’autre de la Manche et même au-delà. Les thèmes retenus pour les huit volumes publiés aux éditions Le Manuscrit, dans la collection bilingue Transversales – la bien-nommée – dédiée aux travaux de recherche sur la sociabilité, montrent également l’ambition scientifique et l’audace des approches : les vecteurs ludiques et politiques d’une sociabilité nouvelle (tome 1), les enjeux thérapeutiques et esthétiques de la sociabilité (tome 2), la dynamique des espaces de sociabilité (tome 3), l’utopie, l’individu et la société (tome 4), les sociabilités de la marge (tome 5), l’insociable sociabilité (tome 6), la maîtrise des espaces de sociabilité comme enjeu sociétal majeur (tome 7), les réseaux de sociabilité et transferts culturels (tome 8). À noter également un bel ouvrage collectif publié chez Boydell en 2019 : British Sociability in the Long Eighteenth Century. Challenging the Anglo-French Connection dirigé par Valérie Capdeville et Alain Kerhervé, parmi d’autres publications. 

La reconnaissance nationale et internationale a été au rendez-vous. En France, elle s’est notamment manifestée par la création en 2017 d’un Groupement d’intérêt scientifique (GIS) « Sociabilités/Sociability du long dix-huitième siècle (1650-1850) », que dirige aujourd’hui Valérie Capdeville. On sait que les créations de GIS sont des procédures longues et complexes qui viennent à la fois témoigner d’une excellence scientifique et de la fertilité d’un champ de recherches, désormais bien identifié sur le plan académique. Mais les GIS ont également une vocation fédérative. Cette dynamique à la fois puissante et intégratrice a permis de réunir des universitaires français, anglais, allemands, polonais, italiens et canadiens autour de collaborations scientifiques, événements et publications, traits d’une recherche en marche. La reconnaissance scientifique a, quant à elle, été remarquable. En 2018, elle a pris la forme d’un financement Horizon 2020 Marie Skłodowska-Curie – RISE par la Commission européenne, dont on connaît le caractère très sélectif, attribué au projet DIGITENS mené par Annick Cossic, Valérie Capdeville, Alain Kerhervé et Kimberley Page-Jones pour la réalisation d’une Encyclopédie numérique de la sociabilité britannique au cours du long dix-huitième siècle. Sont associés à ce projet des conservateurs, archivistes et spécialistes des humanités numériques de la Bibliothèque nationale de France, des Archives Nationales de Kew à Londres et du musée Cognacq-Jay à Paris. La dimension collaborative et interdisciplinaire est donc bien la marque de DIGITENS, comme elle est aussi la philosophie du GIS Sociabilités. 

Les directrices de publication de cet ouvrage ont su tirer profit de cette dynamique lancée et nourrie avec passion depuis plus d’une décennie pour élargir le chantier à l’échelle des mondes moderne et contemporain et l’ouvrir à de nouveaux objets. Désormais, des perspectives sont clairement tracées et les positions historiographiques bien affirmées. Leur remarquable introduction stimulera le lecteur, car elle propose une riche réflexion en contexte sur la géographie de la sociabilité qui montre que celle-ci est moins une forme, un cadre qu’un espace souple, en reconfiguration permanente, où les objets occupent une place majeure, classent, distinguent, relient et opposent. 

Pour en saisir les dynamiques, il faut renoncer à un tableau général et au carcan du modèle théorique de la sociabilité, pour faire entrer sur la palette du chercheur une infinité de nuances, la subtilité des interactions, des emprunts et des réemplois, l’inventivité des hommes et des femmes qui créent, récupèrent, façonnent et proposent à des spectateurs qui sont aussi des acteurs, des performances, le partage – ou au contraire le refus de partager – des pratiques. Les concepts de pratiques, d’identités et de réseaux, thèmes mobilisateurs pour les sciences humaines et sociales, sont au cœur de la réflexion menée dans les différentes contributions de ce volume et sont ici étudiés par en bas et in vivo. La récolte est riche et la multiplicité des approches retenues permet ensuite d’en regrouper et d’en comparer les fruits, de dessiner des perspectives et de saisir à travers l’étude des espaces, les mots qui expriment la sociabilité et permettent à ses praticiens de la penser, et ce n’est pas la moindre des originalités de cet ouvrage. Qu’il soit spécialiste ou simplement curieux de découvrir et de connaître, le lecteur va arpenter un domaine riche et insolite, pluriel et en expansion, hospitalier et audacieux. 

Pour tout cela, merci aux directrices de publication et merci à tous les contributeurs, qui nous livrent les résultats d’une recherche ambitieuse et d’une science épanouie. Merci enfin aux Presses de l’Université de Montréal d’accueillir ce livre dans leur catalogue et de lui permettre ainsi une diffusion internationale.

Table des matières

 

Remerciements Pierre-Yves Beaurepaire 

Introduction 

 

PREMIÈRE PARTIE COMMUNAUTÉS ET RITUELS

Chapitre 1 Travaux agricoles et réjouissances en Basse-Bretagne, Isabelle Guégan p. 31

Chapitre 2 Sociabilités méthodistes et orthodoxie anglicane, Pierre Labrune p. 53

Chapitre 3 Poésie ouvrière et paternalisme en Grande-Bretagne, Fabienne Moine p. 73

 

DEUXIÈME PARTIE CERCLES ET RÉPUTATIONS

Chapitre 4 Objets et pratiques aristocratiques dans l’espace domestique, Sihem Kchaou p. 97

Chapitre 5 Sociabilités féminines à la cour de France, Aurélie Chatenet-Calyste p. 123

Chapitre 6 Médecine, société mondaine et célébrité.  Medicine, worldly society and sociability, Giacomo Lorandi p. 147

 

TROISIÈME PARTIE MODÈLES ET TRANSFERTS

Chapitre 7 Culture matérielle et circulation des modes dans l’empire colonial néerlandais. Material culture and circulation of fashions in the global Dutch world, Michael North p. 167

Chapitre 8 Tavernes et cafés au Québec ancien, Mathieu Perron p. 193

Chapitre 9 L’Arcadie de Rome aux Antilles, Léa Renucci p. 211

 

QUATRIÈME PARTIE ÉCHANGES ET PRATIQUES LANGAGIÈRES

Chapitre 10 Sociabilité et exploration dans la wilderness américaine, Laurence Machet p. 233

Chapitre 11 Loges maçonniques et indigénisation en Inde britannique. The vernacularization of masonic lodges in British India, Simon Deschamps p. 257

Chapitre 12 Langage politique et socialisation dans les sociétés esclavagistes caribéennes, Miles Ogborn p. 275

 

Conclusion 

Notices biographiques 

Bibliographie