Soldats et travailleurs coloniaux (1914-1919)
« L’Inde millénaire et génératrice de tout et de tous, la voilà, en campagne inattendue, inespérée, campant en Touraine, en Normandie. »
Ernest La Jeunesse, L’Armée britannique du camp de Rouen, 1915
Si la Normandie connaît une immigration de travail avant la Première Guerre mondiale, les migrants issus d’Afrique, d’Asie ou des Antilles sont alors peu nombreux en région. Souvent de passage, puisqu’ils sont marins, vendeurs ambulants, journaliers ou dockers, leur présence n’a guère laissé de trace et demeure exclusivement masculine. Avec la guerre, à l’heure où la France mobilise son empire, les flux migratoires vers la région s’intensifient. La majorité des recrutés chinois arrivent au Havre pour travailler dans les ateliers d’armement, les gares et les ports de l’Atlantique. Jamais les populations locales n’avaient été confrontées à un tel flux migratoire : entre Le Havre et Harfleur, on compte à peine deux cents étrangers en 1914, alors qu’en 1917, on y dénombre mille quatre cents Nord-Africains et huit cents Chinois. Sept cents Chinois sont également installés à Caen, où ils travaillent dans la métallurgie et plus de mille cent coloniaux vivent dans l’Eure en 1916. Alors que la guerre se prolonge et que les migrants se font plus nombreux, des réactions d’hostilité surgissent dans la région. En 1917, pour contrôler cette population, est instaurée la carte d’identité d’étranger. Très vite, le monde syndical rejette les travailleurs indochinois à cause des bas salaires et de leur concurrence, tandis qu’en juin 1917, une « ratonnade » contre les Marocains fait deux morts au Havre.
Les « travailleurs coloniaux » répondent rapidement aux manifestations d’hostilité à leur encontre : les Chinois entrent en grève à Caen en mai 1917 et en décembre 1917 à Alençon. En 1918, à Rouen, ouvriers chinois et français s’affrontent dans le port. En parallèle, les accrochages se multiplient entre Chinois et Kabyles soulignant les nombreux conflits au sein même du monde ouvrier. Ces événements sont durement réprimés et des migrants sont cantonnés ou expulsés. Les travailleurs constituent alors la majorité des « indigènes » arrivés en Normandie pendant la Première Guerre mondiale. En effet, seuls quelques détachements de renforts débarquent dans les ports normands pendant le conflit, la plupart arrivant plus au sud. Début 1915, des troupes anglaises débarquent également au Havre et à Rouen, avec leurs soldats coloniaux que les Français voient pour la première fois. Les Hindous provoquent ainsi l’étonnement des populations locales. La Normandie accueille également les soldats blessés, qui reviennent du front pour se faire soigner dans des hôpitaux auxiliaires, comme à Fécamp. Cette guerre aura donc été une période de découverte de l’Autre pour les populations normandes encore très rurales et en marge des flux migratoires, marquant durablement les deux décennies suivantes.
Travailleurs Chinois :
Au cours du premier conflit mondial, cent quarante mille travailleurs chinois arrivent en Europe. À partir de février 1917, la majorité des immigrants chinois débarquent en France par le port du Havre. Plusieurs centaines d’entre eux sont dirigés vers les usines de Basse-Normandie telles le Centre de construction du Génie à Alençon, l’arsenal de Cherbourg, la Pyrotechnie caennaise et surtout la Société normande de métallurgie, participant ainsi pleinement à l’effort de guerre du pays.