Les indépendances. 35 ans de décolonisations françaises (1943-1977)
« Ce temps des décolonisations a été un moment majeur du basculement du monde. »
Achille Mbembe (2020)
En 1931, la France possède le second empire colonial au monde. De 1943 à 1977, ce sont près des 5/6e de cet Empire qui échappent à l’autorité de la France. Après de longs combats, guerres, négociations et compromis, ces territoires conquièrent leurs indépendances. L’histoire des décolonisations constitue le plus long conflit de la France au XXe siècle, faisant près d’un demi-million de victimes, des millions de blessés et de civils déplacés, et provoquant des traumatismes dans plus d’une quarantaine de pays et de territoires ultramarins. C’est une histoire à la fois connue et oubliée. Depuis les premières décolonisations — au Moyen-Orient, en Syrie ou en Liban entre 1943 et 1946, jusqu’à l’indépendance de Djibouti en 1977, en passant par les indépendances des pays d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, la répression à Madagascar, les guerres d’Indochine, du Cameroun et celle d’Algérie, ou les mutations des départements ultramarins depuis la départementalisation de 1946 —, l’histoire des décolonisations françaises a marqué et ne cesse d’impacter la mémoire de tous ces territoires situés partout dans le monde.
Or, six décennies après la plus grande vague de décolonisation de 1960-1962, revenir sur ce passé est toujours aussi difficile. Pour comprendre les bouleversements entraînés par la période de la décolonisation et la violence des guerres coloniales, il est important de revenir aux temps de construction de l’Empire. La République impériale, de son apogée en 1930 1931 à son effondrement, développe au sujet de l’Empire français un message massif sur son « destin civilisateur ». Mais c’est avec la Seconde Guerre mondiale que tout bascule, et les mouvements qui revendiquent plus d’autonomie s’engagent dans un processus de rupture avec la France. Ces oppositions et ce désir de liberté se généralisent dans tous les territoires placés sous l’autorité de la France et interviennent dans un contexte aux multiples dimensions : la Guerre froide naissante, l’éveil du tiers-monde, les luttes politiques internes de la IVe République (1946- 1958), mais aussi la montée du panarabisme sous la conduite de l’Égypte nassérienne ou l’émergence du discours panafricain. Aucun conflit, aucune répression, aucune négociation, aucune décision n’a lieu sans qu’un lien étroit ne puisse être tissé avec ce qui se passe au même moment à l’autre bout de l’empire ou dans les enjeux politiques internationaux. Il faut par ailleurs souligner que l’histoire de la décolonisation se prolonge dans l’après-empire et engage des guerres de mémoires qui, pendant plus d’un demi-siècle (1970-2020), traversent et bouleversent la société française, alors que la France est l’une des rares puissances impériales à avoir conservé autant de territoires ultramarins (Guadeloupe, Martinique, La Réunion, Nouvelle-Calédonie, Guyane, Polynésie…), dans lesquels, depuis des décennies, conflits, crises sociales et enjeux mémoriels définissent une relation tendue avec l’ex-métropole. Comprendre cette histoire — à travers cette exposition, l’ouvrage qui l’accompagne et le documentaire en deux parties produit par Cinétévé qu’a proposé France 2 —, c’est comprendre le monde d’aujourd’hui comme un tout, et c’est appréhender autrement notre relation au monde. C’est, enfin, prendre toute la mesure d’un conflit qui a duré un quart de siècle et qui a façonné la France actuelle.