- Par le Groupe de recherche Achac
Benjamin Stora
vient de remettre il y a quelques minutes, son « Rapport sur les questions
mémorielles portant sur la colonisation, et la guerre d’Algérie » au
Président de la République, Emmanuel Macron. Le rapport était attendu, comme
ses conclusions et préconisations. Le rapport est dense, riche et d’une qualité
historiographique impressionnante.
Dans ses propositions, Benjamin Stora ne recommande
pas une loi mémorielle qui qui « entraverait tout exercice critique de
l’histoire » précise-t-il. Car, s’il se refuse de fabriquer « l’illusion
d’écrire une histoire commune », il souhaite avec son rapport et ses
recommandations « ouvrir des possibilités de passerelles sur des sujets
toujours sensibles, mais permettant d’avancer, de faire des pas ensemble ».
De même, il ne recommande pas un « grand discours »
présidentiel mais pense qu’il est « nécessaire d’emprunter d’autres
chemins » pour pouvoir enfin bâtir « une juste mémoire ».
Il demande à ce que nous regardions les enjeux dans d’autres pays à cet égard,
comme au Japon ou en Afrique du Sud. On sent que l’enjeu est complexe et
difficile.
Pour guider ce travail majeur et massif, il propose
de créer « Commission
Mémoire et Vérité » (s’inspirant directement de l’Afrique du sud), avec pour
priorité de soutenir les commémorations et le recueil des mémoires (19 mars, 25 septembre, 17 octobre), il propose une
stèle de l’Emir Abdelkader pour commémorer le 60e anniversaire de
l’indépendance de l’Algérie en 2022, d’établir un guide des disparus (des deux
camps et notamment ceux d’Oran en juillet 1962), de dresser un inventaire des
lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences, de partager les
archives (avec un travail en profondeur et de numérisation dans la
continuité de l’accord de coopération datant du 6 mars 2009 entre nos deux pays
et de réactiver la commission mixte sur les archives qui ne s’est pas
rassemblée depuis 2016) , de
travailler sur les archives et les restes dans les musées français.
Il
propose aussi de faciliter le déplacement des Harkis et de leurs familles entre
la France et l’Algérie, de faire l’histoire des camps d’internement en France
des Algériens (il y en a quatre), de soutenir l’idée que des noms de rues
mettent en exergue des Français d’Algérie, de restituer les corps et restes
de nos musées (comme cela vient d’être fait avec les vingt-quatre crânes de
décapités conservés au Musée de l’homme), de développer la coopération universitaire et la diffusion
de ce travail, de travailler sur les manuels scolaires pour y intégrer la
guerre et la colonisation (le message est clairement à l’intention de l’actuel ministre
de l’Éducation nationale !) et même de relancer le projet de musée à
Montpellier.
Enfin,
il recommande de faire un travail commun de médiation (réédition de
livres, films de cinéma ou documentaires) car pour l’historien « l’outil
audiovisuel est un instrument décisif pour la préservation des mémoires »,
comme nous l’avons vu cette année avec le succès sur France 2 du documentaire Décolonisations.
Du sang et des larmes. Et de manière très spécifique, il insiste sur des
gestes politiques forts, touchant en particulier les personnalités politiques
du nationalisme algérien assassinées (comme l’avocat Ali Boumenjel) — mais il
ne parle pas de l’action secrète de la Main rouge.
Enfin,
et surtout, acte fort et symbolique, il propose d’organiser dès cette année au
Musée national de l’histoire de l’immigration (qui va commémorer le 90e
anniversaire de l’Exposition coloniale) une grande exposition sur le passé
colonial avec un colloque sur les décolonisations. Et, enfin, de faire entrer
au Panthéon une personnalité symbole de la réconciliation des mémoires (Gisèle
Halimi ?). Nous trouvons donc beaucoup de choses dans ce rapport. Plus
qu’un discours, Benjamin Stora recommande propose des actes concrets, qui
« fabriquent » une politique pour aller au-delà des guerres de
mémoires, au-delà du conflit entre la France et l’Algérie (parce que, écrit-il
joliment, l’histoire n’a pas de nationalité), pour qu’enfin la « réconciliation
attendue » permette le passage
d’une mémoire communautarisée à une mémoire commune.
Pour
le Président de la République, le 8e président de la Ve
république, 60 ans après les indépendances, ce « programme »
initierait de concrètes fondations pour une véritable politique globale pour
qu’enfin ce passé puisse passer. Il permettrait, aussi, aux enjeux du
présent d’une jeunesse issue de cette histoire et qui cherche sa place dans
l’histoire, dans le présent et dans la République.