Les tribunes

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Le Red Star : un maillot pour une histoire par Pascal Blanchard

Le Red Star : un maillot pour une histoire

par Pascal Blanchard

Le Red Star : un maillot pour une histoire par Pascal Blanchard

Pascal Blanchard est historien, membre du Laboratoire Communication et Politique du CNRS et co-directeur du Groupe de recherche Achac. Dans le cadre du programme « Sports & Diversités », il a co-réalisé plusieurs films traitant de l’histoire de l’immigration à travers le prisme du football, comme Des Noirs en couleur et Les Bleus. Une autre histoire de France ou du sport avec la série Champions de France. Ces réalisations sont aussi accompagnées des expositions Des Noirs dans les BleusLes joueurs maghrébins en équipe de France et Ces Bleus venus d’Europe. Il est également membre du conseil scientifique du programme et commissaire de l’exposition Histoire, sport & citoyenneté (conçu en partenariat avec la CASDEN) sur l’histoire de l’Olympisme et des portraits d’athlètes d’exception. Le programme, bientôt disponible en ligne et sur tout le territoire en diffusion (exposition), se décline en une série de films courts, des événements, des publications et une exposition pédagogique qui sera inaugurée le 24 septembre 2020 à Paris. Pour la rentrée de septembre, il s’est associé au Red Star et à BETC pour accompagner « historiquement » la sortie du maillot officiel de l’équipe de Saint-Ouen qui rend hommage aux joueuses et joueurs du club depuis plus d’un siècle, notamment à travers les récits migratoires.

Comment un historien peut-il raconter l’histoire d’un club de football, l’histoire de l’immigration dans un club, mais aussi l’histoire d’un territoire ? Lorsque BETC, en collaboration avec l'artiste Acid FC, m’a proposé de réfléchir à cette dynamique, ils avaient déjà trouvé le principe original avec le club du Red Star de Saint-Ouen : raconter cette histoire sur le maillot de la prochaine saison.

L’idée est simple, et tout simplement géniale. À partir du maillot, symbole de l’identité d’un club, il faut avec quelques noms et quelques visages être capable de faire récit. Ce maillot sera en outre accompagné d’un flyer (brochure) qui raconte à sa manière le récit des Onze joueuses et joueurs qui ont, tout à tour, marqué leur génération. Au-delà de ces onze joueuses et joueurs mis en exergue, le flyer raconte d’autres récits, d’autres moments, d’autres époques. Il fallait aussi replacer cette histoire des joueuses, des joueurs et du club, dans une histoire longue (depuis 1897) et dans les mutations de la banlieue et de Saint-Ouen. Enfin, dernière étape, il faut raconter cette histoire dans les écoles du 93.

L’idée est folle, unique, complexe. Mais profondément originale. La formation de Saint-Ouen évoluera donc en 2020-2021 avec des maillots imaginés par l'artiste Acid FC, et non par Adidas, son équipementier. Un cas unique en France. Au final, les maillots domicile et extérieur retracent l'histoire du Red Star à travers un motif « Toile de Jouy », un graphisme composé de personnages et d'un décor. Avec cette tenue, le club a la volonté de reconnecter la jeune génération à l'histoire grâce au football. Ce projet éducatif et historique s'inscrit dans la lignée du Red Star LAB, une entité du club qui favorise l'accès à la culture en proposant à ses licencié.e.s de découvrir une activité culturelle durant les vacances scolaires. À partir de septembre, nous irons dans les écoles du 93 pour présenter cette histoire et cet héritage.

 

Plongeons-nous dans cette histoire…

À la fin du XIXe siècle, le sport commence à s’installer dans la société française, et devient un enjeu d’éducation de la jeunesse. Ces années d’avant-guerre, ou la « Belle Époque », sont un temps incroyable en France, correspondant à une période de créativité majeure. Le sport devient un véritable phénomène de société et s’impose a à travers les olympiades, notamment en France en 1900, aux États-Unis en 1904 et en Angleterre en 1908, avant les Jeux Olympiques de 1912 en Suède. Un sport en particulier devient de plus en plus populaire : le football-association. C’est dans ce contexte que naît l’idée de créer un grand club parisien en 1897. Il est fondé par Jules Rimet sous le nom de « Red Star Club français » (un nom inspiré par la compagnie maritime Red Star Line). Jules Rimet sera, quelques années plus tard, le président de la FIFA et l’initiateur de la première Coupe du monde en 1930. Le club s’affirme tout de suite comme parisien, social et humaniste, ouvert aux familles pauvres et ouvrières grâce à une faible cotisation afin de favoriser la promotion sociale. Une histoire commence à s’écrire…

 

Partons à la rencontre des joueurs et des joueuses de ce Onze historique…

Le premier de ces joueurs est René Fenouillère. Immense joueur de l’avant-guerre, il rejoint le Red Star en 1907 après avoir été le premier capitaine français du FC Barcelone (1903). Il connaît sa première sélection au sein des Bleus lors des Jeux Olympiques de 1908 à Londres. Le Danemark marque alors un score historique contre la France lors des demi-finales et écrase l’équipe de René Fenouillère avec 17 buts à 1. Cette défaite (unique dans les annales des Bleus) ne l’empêche cependant pas de briller au Red Star jusqu’au début de la Grande Guerre, dans laquelle il s’engage en 1914. Il meurt finalement au combat en 1916.

Puis, la génération suivante est marquée par Émilien Devic. C’est un immense attaquant international des années d’avant-guerre qui a porté les couleurs audoniennes lors de la saison 1913-1914. Sélectionné neuf fois en équipe nationale, entre 1911 et 1921, il a notamment marqué l’unique but français face à l’Italie le 20 février 1921.

Ensuite, c’est au tour d’Eugène Maës de marquer les esprits. Premier attaquant mythique de l’histoire du club, il participe à la Première Guerre mondiale, lors de laquelle il est blessé. Héros du front, il fera même la une du journal Sporting en tenue de fantassin. Ses années au Red Star sont celles, aussi, où il brille en équipe nationale. Avec le Red Star, il remporte le championnat de première série en 1912. Au retour des champs de bataille, Eugène Maës porte de nouveau le maillot rayé bleu et blanc pour la saison 1918-1919. Un quart de siècle plus tard, Eugène Maës est arrêté en 1943 pour s’être opposé à la Gestapo et est déporté. Son aventure personnelle traverse la grande histoire de France.

Pierre Chayriguès, le premier grand gardien français, contribue lui aussi à l’écriture de l’une des plus belles pages de l’histoire du Red Star à partir de 1912. Finaliste du Trophée de France avec le Red Star en 1912 et en 1913, tous les clubs européens veulent le recruter. Mais il refuse et remporte la Coupe de France à trois reprises en 1921, 1922 et 1923 avec son club parisien. Le 17 mars 1912, il permet à l’Équipe de France de s’imposer 4 buts à 3 face à l’Italie. Blessé lors des Jeux Olympiques parisiens de 1924, il se voit contraint de mettre un terme à sa carrière en 1925.

L’entre-deux-guerres est marqué par André Simonyi. Attaquant originaire d’Autriche-Hongrie (aujourd’hui l’Ukraine), il quitte l’Attila de Budapest, son premier club, pour la France. Son club français de cœur est le Red Star. C’est là, de 1936 à 1945, qu’il est l’idole des foules. Son duo avec Alfred Aston est remarquable à l’heure de la victoire électorale du Front populaire. Sa naturalisation lui ouvre les portes de l’Équipe de France entre 1942 et 1945. Sa frappe de balle est si mythique que le club fait appel à lui pour donner le coup d’envoi du 1000e match du Red Star, en 1993. À ses côtés Julien Da Rui, originaire du Luxembourg et naturalisé français, sera l’immense gardien des années d’avant- et d’après-guerre du Red Star. Il compte aussi 25 sélections en équipe nationale. Le journal L’Équipe le désigne comme le gardien du siècle en 1999.

Arrive la fin des années 1930 et un joueur hors norme : Rino Della Negra. Il est issu de l’immigration italienne, né à Vimy dans le Pas-de-Calais. Vers 1937, il travaille à l’usine Chausson d’Asnières et sa passion pour le football le conduit à prendre sa licence au Red Star. Refusant de partir en Allemagne pour le STO (service du travail obligatoire) en 1942, il entre dans la Résistance au 3e détachement italien FTP-MOI. Membre du réseau Manouchian (L’Affiche rouge), il est arrêté en novembre 1943 par la Gestapo et fusillé au Mont-Valérien. Son esprit de résistance fait de lui une figure emblématique du club. La tribune du stade porte son nom.

Carlos Monín marque l’après-guerre. Ancien international paraguayen, l’arrière droit débarque en 1967 au Red Star (année de la fusion avec le Toulouse FC) pour y jouer plus de 200 matchs jusqu’en 1973. Le joueur est talentueux et rugueux, comme aiment les supporters. À la fin de son parcours en tant que joueur, il débute une carrière de coach à la tête de l’équipe réserve du RSFC, avant d’être le premier entraîneur-joueur de l’AS Red Star en 1978.

Puis vient l’Argentin Néstor Combín, un joueur qui connaît bien des clubs avant de porter les couleurs du Red Star et celles de l’Équipe de France. Il est passé à Lyon avant de répondre aux sirènes de l’Italie (Juventus, Torino, AC Milan) et de venir enfin à Saint-Ouen. Très vite, en 1973, le buteur spectaculaire est adopté par le public de Saint-Ouen, avant de finir sa carrière au Hyères FC. Son club historique et de cœur est le Red Star, celui-ci était « comme [sa] famille ».

À la fin des Trente Glorieuses arrive Fleury Di Nallo. C’est l’un des joueurs emblématiques des années 1970. Il joue une saison pour le Red Star en 1974-1975. Et quelle saison... Son histoire avec le Red Star commence mal (lorsqu’il joue contre lui), avec une blessure le 22 septembre 1968 : une double fracture tibia-péroné. Son destin est désormais scellé avec le club et, cinq ans plus tard, il rejoint Saint-Ouen, où il revendique ses origines italiennes et populaires. Fleury Di Nallo compte également 10 sélections en équipe nationale. Il marque de son empreinte le retour du club en D1 en 1974. Le 25 mai 1974, le Red Star joue son ultime match de la saison en D2 à Cannes et rejoint la D1, après avoir dominé le championnat. À huit journées de la fin, il possède une bonne dizaine de points d’avance. La seule incertitude est de connaître le second club du championnat. C’est le PSG.

Une nouvelle génération commence avec Safet Sušić… « L’enchanteur, le virtuose, le magicien, le prince du parc », quitte le Paris Saint-Germain et rejoint le Red Star pour la saison 1991-1992. Ce joueur originaire de Yougoslavie (actuelle Bosnie-Herzégovine) a été sacré meilleur joueur de Bosnie et est devenu un véritable symbole. Trois décennies après ses premiers pas au stade Bauer, Magic Sušić est encore dans les mémoires. Son visage s’affiche alors partout sur les murs de Seine-Saint-Denis avec ce message : « Red Star 93. Ici, on cultive nos étoiles. »

Le XXIe siècle commence. Formé au Red Star, l’attaquant Hamidou Sene est aussi connu pour son talent de rappeur (Topas est son nom d’artiste). Il incarne comme nul autre les deux cultures majeures de la banlieue de la fin des années 1990 et du début des années 2000 : le football et la musique hip-hop. Meilleur buteur de la réserve, l’enfant du quartier des 3000, à Aulnay-sous-Bois, commence à jouer à Villepinte, puis à Aulnay avant de rejoindre le Red Star. Il s’exprime aujourd’hui à Valenciennes au sein du centre de formation.

Dans la même dynamique, Lauryn Coulibaly s’affirme au cœur du temps présent. Elle se présente elle-même : « Enfant du 93, c’est dans ce département qu’est née ma passion pour le football. D’un esprit très sportif dès le départ, j’ai choisi comme première maison le Red Star. Un club de football qui deviendra ma famille, une famille qui m’aidera à développer mon côté créatif par la suite. Sans savoir ce que l’avenir me réserve, je prends les choses comme elles viennent, tout en gardant en tête que le Red Star fait [et fera] partie de mon passé, de mon présent et de mon futur. » Une nouvelle génération écrit désormais l’histoire du club, sur un territoire à l’identité forte et en plein héritage du passé. Chaque génération raconte un morceau de l’immigration, dans le pays, dans la région parisienne, dans le club.

Ce Onze n’est pas la meilleure équipe de tous les temps. C’est plus que ça. C’est une équipe qui représente l’histoire du Red Star FC, l’histoire d’un territoire et de ses habitants. Elle raconte, d’une autre manière, l’histoire de l’immigration. Le 10 septembre, à Saint-Ouen, avec Lilian Thuram, nous irons à la rencontre des jeunes lycéens du 93 pour leur raconter cette histoire. C’est une belle aventure.

Pour aller plus loin : https://www.footpack.fr/138607-le-red-star-seul-club-francais-adidas-a-avoir-cree-le-design-de-ses-maillots  

Et https://www.lequipe.fr/Sport-et-style/Design/Actualites/Des-nouveaux-maillots-charges-d-histoire-pour-le-red-star-fc/1158533