Les tribunes

Titre Les tribunes
Violences faites aux corps noirs : le cinéma français interrogé par Lucie André

Violences faites aux corps noirs : le cinéma français interrogé

par Lucie André

Violences faites aux corps noirs : le cinéma français interrogé par Lucie André

Issue d’une formation technique aux métiers de l’image, Lucie André entreprend, à partir de 2013, des études cinématographiques à l’Université Paris III. Dans le cadre de son master, elle s’interroge sur les représentations des femmes noires dans les cinéma américain et français et réalise une partie de ses recherches au Canada, à l'Université de la Colombie-Britannique (UBC). En 2019, elle publie aux éditions L'Harmattan les résultats de son travail dans un ouvrage intitulé Être actrice noire en France, (dé)jouer les imaginaires traitant des personnages féminins noirs dans le cinéma français contemporain, de l'histoire des représentations et de la complexité d'exercice des actrices tiraillées entre le besoin de travailler et l'idée de contribuer malgré elles à faire perdurer les représentations stéréotypées.

Le 25 mai 2020, la mort par asphyxie du citoyen états-unien George Floyd, filmée lors d’un contrôle de police, est partagée dans le monde entier. Y surgit une nouvelle fois l’héritage historique extrêmement brutal du pays à l’égard de sa population noire. Ces images sont nécessaires car elles constituent des preuves ; pourtant, leur circulation massive pose question. Aux yeux des spectateurs noirs, c’est une violence de plus. La vidéo choque jusqu’en France où des manifestants se réunissent le 2 juin, à l’appel d’Assa Traoré, pour réclamer justice dans l’affaire du décès du frère d’Assa, Adama Traoré.

Deux actrices françaises, Aïssa Maïga et Adèle Haenel, rejoignent les rangs. À la une du quotidien Libération, elles dénoncent les dérives des interpellations policières et les violences ciblées sur les minorités, ainsi que l’existence d’un racisme systémique à toutes les échelles de la société. Quel est le rôle des actrices dans ce combat ? Selon Aïssa Maïga, le cinéma français doit encore faire son examen de conscience, puisqu’il y a toujours « une surreprésentation des personnes perçues comme non-blanches dans les rôles à connotation négative ».

En quelques lignes, le journal nous fait passer des violences policières états-uniennes aux représentations des personnes non-blanches dans le cinéma français. La mise en parallèle est rapide, surprenante, pourtant l’association d’idées se fait dans l’esprit des actrices. Et pour cause, lorsqu’on l’étudie de près, le cinéma français maintient lui aussi les personnes noires dans des représentations violentes. Les travaux de Régis Dubois ont contribué à identifier et expliquer les traits stéréotypés, hérités de l’histoire coloniale, des personnages noirs du cinéma français. Ainsi ont été désignés les rôles de clowns, de sauvages, d’étalons sexuels, de domestiques, de délinquants, etc.

Les rôles de femmes noires ne sont pas en reste : les stéréotypes incessamment répétés sont une violence sourde. Dans l’ouvrage Être actrice noire en France, (dé)jouer les imaginaires, les rôles de 66 actrices françaises noires sont comptabilisés et analysés. Les plus récurrents sont ceux de « mamas », infirmières, policières, nounous, prostituées, meilleures copines, « Africaines », jeunes de cités, vendeuses, avocates, sorcières, athlètes, professeurs, secrétaires, etc. La nature de ces personnages nous raconte une partie de l’histoire coloniale française (par exemple, les théories scientifiques des anatomistes français du XVIIIe siècle installent l’idée que les femmes noires auraient une sexualité plus sauvage et plus débridée que les femmes blanches). Ces rôles maintiennent les femmes noires dans des situations de subordination et entretiennent la relation de domination. L’imaginaire colonial blanc imprègne les écritures contemporaines et persiste sous la plume de réalisateurs ne mesurant pas toujours la portée de leurs images. Il n’est pas impossible de se défaire de son imaginaire et il est nécessaire d’apprendre à déplacer son regard. Il faut enseigner à nos auteurs l’histoire des représentations, afin que cesse la répétition de stéréotypes, vécue aujourd’hui comme une violence par les représenté.e.s.

TABLE DES MATIÈRES

 

AVANT-PROPOS... 11

INTRODUCTION... 13

 

PARTIE I 

OÙ SONT LES ACTRICES NOIRES ?... 21

 

CHAPITRE 1

ABSENCE, INTERSECTIONNALITÉ ET POLÉMIQUES... 23
  1. Les actrices noires peuvent-elles faire recette ? ... 23
  2. L’intersectionnalité, être femme, être noire, (être actrice) ... 28
  3. Depuis Bande de filles, plus de visibilité dans les médias ? ... 39

CHAPITRE 2

REPRÉSENTATIONS DES NOIRS SUR SCÈNE, STÉRÉOTYPES ENRACINÉS, EFFETS ET CONSÉQUENCES... 47
  1. La couleur et le corps noir, d’hier à aujourd’hui ... 47
  2. Histoire des noirs sur scène et en image ... 53
  3. L’absence de récits et d’images ... 60

CHAPITRE 3

PRÉSENCE D'ACTRICES, ABSENCE DE RÔLES... 67
  1. Cartographie des actrices ... 68
  2. Quelles formations ? ... 73
  3. Âges et rôles ... 78

 

PARTIE II 

DES IDENTITÉS ET DES PARCOURS... 89

 

CHAPITRE 1

SABINE PAKORA... 93
  1. « Même pas des seconds rôles », des rôles périphériques ... 98
  2. Un personnage postcolonial : Alimata dans Le jour où tout a basculé ... 101
  3. La culture africaine, une philosophie de vie plus sage ... 103

CHAPITRE 2

FIRMINE RICHARD... 107
  1. Une première apparition, un premier rôle ... 110
  2. Stéréotypes : une surreprésentation dans le domaine médical ... 116
  3. Une figure féminine d’émancipation ... 120 

CHAPITRE 3

AÏSSA MAÏGA... 125
  1. 1. Les rôles stéréotypés, le prix pour exister ... 127
  2. 2. Les rôles de blonde : la femme de, la meilleure amie de ... 131
  3. 3. Les rôles d’Africaine ... 134

CONCLUSION... 143

BIBLIOGRAPHIE... 149